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J'aime sensiblement la peinture ; à nul autre art pareil la peinture est la matière de notre cosmos, la matière dont nous sommes faits. Elle a l'âge de l'univers comme nous-même. Elle fut seulement révélée il y a environ 50000 ans (ces chiffres dépendent des recherches et des découvertes archéologiques), lorsque l'humain prit conscience de son monde et de lui-même. La peinture c'est créer, du chaos informe des pigments, à une parcelle de vie qui a la particularité de receler une présence forte et continue.
Lorsque je regarde avec attention une œuvre de Greco, je sais qu'elle a été peinte au début du XVIIe siècle, et pourtant, j'ai envie de coller mon nez sur la couche peinte pour sentir les odeurs de l'atelier de l'artiste, mes yeux ne cessent de parcourir les touches, et je ressens profondément une intimité avec l'artiste, comme s'il était un proche, un ami que je visiterais chaque semaine - faites-moi grâce de l'absence d'un quelconque trouble mental. Juste que la peinture a cette force, cette présence de s'inscrire dans le temps, et par la même occasion de l'annuler, en intégrant l'infini.
Même une peinture médiocre a cette qualité de s'imposer dans l'espace. Bien évidemment, il est aisé de la défigurer en quelque mots, et de n'y déceler que des erreurs, voire même une absence totale de sens, mais elle a le mérite d'être là et d'en imposer un peu au mur sur lequel elle est accrochée.
Comme ça, malgré les "styles", la peinture annule le temps. Imaginez une œuvre qui verra cent générations passer devant elle. La construction autour d'elle sera décrépie, la poussière accumulée, mais elle aura toujours l'aura de ses formes, de sa lumière, et du volume de la toile sur lequel elle est peinte. C'est ainsi !
David Hockney, l'artiste célébré, a écrit un fameux ouvrage : Savoirs secrets, les techniques peintes des maitres anciens, 2001, dans lequel il nous livre le fruit d'une étude patiente, documentée, sur l'évolution parallèle de la représentation picturale et l'essor des techniques de vision. Il démontre par l'expérimentation personnelle que l'invention des lentilles ont amené une perception plus fine de la lumière, de la modulation des tons et des matières ayant comme conséquence un réalisme accru de la peinture. Les exemples choisis sont criants de vérité. En regardant l'œuvre que j'ai choisie pour l'article de l'artiste anglais Paul Raymond Seaton, je peux dater l'œuvre du vingtième siècle. Je sais pertinemment qu'elle n'est pas une peinture plus ancienne, car la facture picturale, la modulation des tons, des ombres proviennent d'une vision récente passée au crible de la technique photographique numérique, ou alors d'une connaissance de cet environnement moderne auquel nous sommes en tant qu'humain habitué et confronté tous les jours. L'observation technique pure renvoie à une image récente captée via l'électronique quand bien même l'artiste n'y a pas eu recours, simplement, parce qu'il vit dans ce monde et que son environnement visuel, ce qu'il voit et regarde l'intègre inconsciemment malgré lui. Il y a peine à croire que ce monsieur né en 1953 en Angleterre vit dans un lieu sans cinéma, vidéo, TV, livre, revue, et s'éclaire avec des chandelles, etc... Par conséquent, il est impossible de confondre cette œuvre avec un Manet dernière période ou avec un Fantin-Latour, pourtant il s'agit du même genre de peinture et de composition.
La dernière série d'œuvres de Manet, que l'on appelle souvent les Fleurs de Manet présente des bouquets dissemblables dans des vases pour la plupart transparents pour jouer avec la lumière, sur des fonds simplement colorés. Là, il s'agit de la même construction. La facture, la patte de l'artiste ont aussi des similitudes avec celle de Manet, en ceci qu'elles synthétisent la forme par des brossages vigoureux, et présentent une composition simple mais efficace, dans une gamme chromatique vive et soutenue par des contrastes de qualité (manière d'employer la couleur entre un ton vif et un ton rabattu).
Pour autant, la facture, la matière des œuvres de Paul Seaton, recèlent l'histoire de l'art récent dans l'ADN de sa peinture. La texture, l'empâtement que l'on ressent ont connu l'histoire de l'art du vingtième siècle, c'est indéniable, car on y lit l'expressionnisme empâté de la touche, l'abstraction lyrique ou abstraite, Morandi encore, comme ils ne transfigurent pas dans les siècles antérieurs. Malgré la possibilité d'inscrire le travail artistique dans une période de l'histoire, l'œuvre semble intemporelle, les roses sont posées dans le vase chinois, on ne pense pas une seconde que les pétales vont tomber, et se flétrir. Il y a l'immanence de la scène et des objets, et la transcendance peinte qui renvoie à l'histoire des millénaires, à l'infini de la matière, à la lumière de l'image acheiropoïète non faite de main d'homme, mais tombée du ciel…
Je pense que dans vingt ans, je regarderai Antique Roses and Blue and China avec la même fraicheur, alors que moi-même je serais proche d'une fin de vie.