[D'après une histoire vraie]
Dernièrement, je rencontrai en province un directeur de la culture d'une ville en pleine expansion économique grâce à un projet international. Passés les salutations d'usage et le point sur la météo politico-mondialisée, il me fit part de son désarroi d'être à la retraite et de ne plus servir que son ennui :
"-Tu n'avais pas en charge la réorganisation de la fondation*** pour deux ans ?" lui demandai-je.
- "Oui, mais mon travail ne plaisait pas à tout le monde, mon poste finit par ne plus être défendable par le maire. Il a été franc, il me l'a dit.
- Qui a en charge les expositions maintenant ?
- Il n'y a plus d'exposition, il n'y a plus de budget et mon poste est occupé par un gestionnaire. Tout le travail entrepris auprès du public depuis des années, pfouu, envolé.
- Et que devient la fondation ?
- La fondation sans soutien financier actif de la ville, sans communication dans les communautés de communes alentours, sans catalogue ne sera plus qu'une coquille vide à prendre par un opportuniste occasionnel. Tant pis pour tous et vive la déculturation des masses, il y aura toujours les chaînes de télévision et l'Internet pour les divertir."
Cet homme d'à peine soixante ans, au jour de sa mise à l'écart, vécu une partie de son existence comme une aporie : toutes ces années consacrées à la culture, à l'étude, notamment de la philosophie, pour un piètre résultat et un final digne d'un commencement.
C'est ici que commence ce billet : là où s'arrête la culture, le tissus économique perd en vigueur et nous gaspillons les potentiels de chacun.
Ah, nous en doutons ! dirons ceux qui pensent que les artistes (permettez que je mette l'accent sur cette catégorie) se tiennent à la marge de l'économie et ne comptent pour pas grand chose dans son dynamisme et sa prospérité.
Sugawara va vous servir le contraire, en vous donnant l'inventaire des dépenses annuelles de ce que nous pouvons appeler un artiste plasticien type.
Il se peut que cela soit fastidieux, mais le mérite sera d'être authentique et informatif.
Dépenses courantes d'atelier : Le lieu.
- L'impôt foncier ou la location (à une personne privée ou une agence pour les artistes qui ne possèdent pas leur lieu de travail). Si l'on estime une surface de travail utile et nécessaire d'au minimum 60 m2, imaginez le prix de cette dépense.
- L'électricité et l'eau. Un artiste éclaire l'atelier pour travailler. L'artiste utilise l'eau pour des peintures (acryliques, gouaches, aquarelles), il nettoie aussi son matériel, etc.
- Le chauffage est soit électrique, au gaz ou au bois.
Matériels et matériaux de travail :
Parmi l'inventaire, cette liste est la plus longue, mais la plus intéressante, car elle regroupe ce qu'il faut pour rendre visible la création. Vous trouverez ainsi la toile, les apprêts, les châssis, les pinceaux, les outils graphiques (fusain, mine graphite ou fusain compressé), les peintures, les solvants, les médiums.
- La toile est soit de lin ou de coton. Elle est plus ou moins épaisse et granuleuse pour des rendus différents. Par an, pour un artiste restant dans une ligne de création et non de production, c'est à dire une quinzaine d'oeuvres par an, il faut environ une quarantaine de mètres linéaire. Le mètre de tissus vierge (de bonne qualité) coûte 12 euros en moyenne.
- Les apprêts permettent de préparer la toile pour recevoir les couches picturales. Certains artistes peignent directement sur la toile vierge, mais la toile est alors plus chère car elle doit être plus rigide et épaisse. Il existe des apprêts standards ou bien des médiums acrylo-vinylique dans lesquels l'artiste ajoute des pigments blancs ou de la charge blanche, moins chère (le blanc de lithopone). Il faut compter 5 litres de produits pour quatre oeuvres de 200x145 cm, ainsi qu'un kilo de pigment, à raison de trois couches par toile. Les 5 litres coûtent une moyenne de 50 euros plus les pigments (10 euros le kilo). Pour l'ensemble des oeuvres (de tous formats) cela nécessite au moins 20 litres de produit préparé.
- Les châssis permettent de tendre les toiles. Il en existe de toutes les dimensions et de toutes les épaisseurs selon qu'il s'agit d'un châssis d'étude ou d'exposition. Disons que pour un châssis standard (45x20 mm de section), le prix sera de 4 euros le mètre linéaire.
Pour une toile de 2,0x1,45 m plus une traverse en croix le prix total du chassis sera : 2,0(x2)+1,45(x2)+Tra 2,0+Tra1,45 = 10,35 m x 4 euros = Total 45,40 euros. à multiplier par le nombre annuel d'oeuvres.
- Les pinceaux. Pour travailler, l'artiste a la nécessité d'en posséder de toutes tailles et de matières dissemblables. Il en faut donc plusieurs centaines car les poils s'usent sur le grain des toiles.
- Les peintures constituent la dépense essentielle parce que l'artiste doit composer une palette riche, afin d'avoir un maximum de possibilités chromatiques et obtenir aussi un rendu optimal des couleurs. J'explique : si vous achetez un jeu réduit de couleurs, pour obtenir des teintes complexes vous devrez faire beaucoup de mélanges et vous amoindrirez l'éclat des teintes, car plus le nombre de composés augmente moins la couleur est pure.
Il existe plusieurs marques de peintures de qualité (Amsterdam, Van Gogh, Rembrant, Sennelier, Georgian, Old Holland, Lefranc-Bourgeois, etc.
Soit les tubes de couleurs ont un prix par catégorie de 1 à 6 et là c'est très chère mais les pigments sont de meilleure qualité, soit vous choisissez des peintures où les gammes proposent un prix unique pour toutes les couleurs.
Voici une palette conséquente de 56 couleurs. Les prix varient de 7 à 15 euros pour un tube de 150 ou 200 ml :
Blanc de Titane / Blanc de Zinc / Noir d'Ivoire / Noir de vigne / Gris Atrament / Gris de Payne / Jaune Citron / Jaune de Naples clair / Jaune Moyen / Jaune de Nickel Titane foncé et clair / Ocre Jaune / Ocre de Ru / Jaune primaire / Bleu Cyan / Bleu de Cobalt / Bleu Caerruléum / Bleu Outremer / Bleu Manganèse / Bleu Idranthème / Bleu de Prusse / Bleu Royal / Bleu Indigo / Bleu de phtalocyanine / Bleu Turquoise / Bleu Saphir / Vermillon / Jaune de Naples Foncé / Magenta / Rouge cadnium Moyen / Rouge Cadnium foncé / Rouge Azo Moyen / Rouge de Venise / Ocre de Chair / Ocre Rouge / Oxyde Rouge / Laque Garance / Rouge Carmin / Rose Tyrien / Rose Quinacridone / Vert Véronèse / Vert Anglais / Vert de Hooker / Vert Oxyde de Chrome / Terre Verte / Vert Emeraude / Vert moyen / Terre de Sienne Naturelle / Terre de Sienne Calcinée / Ombre Naturelle / Ombre Brulée / Terre de Kassel / Brun Van Dyck / Asphalt / Caput Mortum / Violet.
Par an, il faut renouveler un tiers des couleurs, à savoir que certaines seront utilisées en ponctuation chromatique, tandis que d'autres comme des bases de mélange, de contraste.
- Les moyens graphiques sont les outils pour la technique du dessin ou bien pour le travail préparatoire sur la toile.
Pour le dessin, il faut des feuilles (du format Raisin : 50x65 cm, au rouleau de 1,5x10 mètres - la gamme de prix est vaste car il existe de nombreux types de papier), des crayons, des craies, les encres (...) et un ensemble d'accessoires.
- La gravure représente sous cette appellation beaucoup de techniques différentes. Choisissons la plus simple : la gravure sur bois. Il faut des plaques de bois (contreplaqué japonais) ou du linoléum, des gouges pour graver, de l'encre à l'huile ou à l'eau et des feuilles spéciales pour le tirage, puis une presse.
Documentation / étude :
inutile de trop détailler cette partie car vous comprenez aisément qu'il s'agit des livres dans leur ensemble. Un artiste créé, mais, pour créer il faut de la matière à penser.
Communication / Impression de livre :
La communication est primordiale : "Faire et le faire savoir".
La communication se fait par téléphone, @mail ou bien par le biais de dossiers imprimés comprenant des frais d'envoi, d'encre et de papier.
Transport des oeuvres vers les lieux d'exposition :
Le transport des oeuvres se fait par des messageries nationales, internationales et comprend les frais d'emballage, d'envoi au kilo auxquels nous ajoutons l'assurance des oeuvres.
Déplacement de l'artiste sur le lieu d'exposition :
Par voiture, train ou avion selon le lieu. Frais d'hôtel et de bouche dans le cas ou aucune solution gratuite ne se présente.
Les conférences / cours / galeries / centres d'art / etc. :
Grâce aux artistes beaucoup de monde vit et développe une activité économique.
Les artistes aussi se lèvent tôt ou se couchent tard, parfois même les deux !
Vous comprendrez maintenant que l'artiste intègre totalement le tissus économique de chaque société où il travaille. Par conséquent, si l'heure est à la rigueur, que les villes, les centres d'art etc. taillent dans les budgets culturels, les artistes diminueront leurs dépenses et beaucoup de PME de SARL finiront par en être affectées
Sugawara Gen En pleine Illumination sociale - 17 novembre 2011