Souvent, je me suis posé la question de l’être de l’artiste : est-ce un hurluberlu défoncé du soir au matin, attendant after hours que les muses lui caressent l’esprit ? Est-ce
un people moins creux et plus créatif que ceux que l’on nous impose comme modèle hypertrophié de réussite médiatique ? Est-ce un Homme qui a pensé un jour que la vie serait moins absurde
s’il en faisait quelque chose d’intellectuelle, de sensible et de visible ? Le choix fut simple entre ces trois acceptions : l’artiste doit être de forme et d’esprit ; il doit
subvertir la non-pensée, la pensée commune ; il doit dépasser la mesure générale et imposer sa lecture particulière du monde pour que les modèles possibles se multiplient au détriment du
modèle unique. L’artiste doit être le parangon de l’ascétisme, retourné en soi, pour être ouvert au Monde, à l’universel. Il doit enfin intégrer et utiliser le système pour en tenailler le verbe
et les problématiques.
C’est alors que je me suis demandé ce qu’est un artiste français, eh bien, tout çà ! Plus la difficulté de ferrailler contre une nomenklatura culturelle molle ayant décidé du goût général. L’artiste français doit travailler deux fois plus que ses confrères, pour se hisser au niveau moyen de reconnaissance des artistes internationaux : - premièrement, parce que l’anglo-saxon est moins « con » que nous pour comprendre qu’il faut d’abord et avant tout exposer ses artistes nationaux chez lui et surtout acheter ses artistes avant de se ruer chez le voisin –
[En exergue, voici un exemple notoire de montage d’une communication de qualité, d’une création d’un marché artistique lucratif, dynamique, aux retombées nationales et internationales pour les artistes. Vous connaissez la réputation et l’engouement pour les YBA (Young British Artist), ils défraient la chronique et imposent leurs créations depuis les années 80. Savez-vous néanmoins comment cela est arrivé ? Par génération spontanée ? Par floraison printanière ? Par déterminisme messianique ? Par supériorité de la race britannique ? Non, par l’entremise d’un homme d’affaire anglais, talentueux et fin stratège : Monsieur Charles Saatchi (né le 9 juin 1943), propriétaire et créateur de l’agence de publicité Saatchi&Saatchi (avec son frère) qui à partir des eighties à décider d’investir massivement dans l’art. Monsieur Saatchi à acheté à bas prix les œuvres de ces artistes dans leur atelier pour les vendre ensuite en salle des ventes par des intermédiaires et les racheter au prix fort, ce qui eu comme résultat de faire monter la cote de ces artistes et donc leurs prix. Maintenant les YBA ont la tranquillité d’esprit et les moyens de créer, de libérer leur impertinence sans souci financier…] A quand un véritable collectionneur français qui dépensera bien !
Quand nos institutions achètent et exposent des artistes non-nationaux contemporains, c’est une masse financière qui ne permet pas à la création ici de s’épanouir et de prospérer (Il faut qu’en France on en finisse avec le mythe du créateur crève la dalle. L’artiste sous un pont n’a jamais été meilleur que celui qui peut investir, en temps et en matières, pour sa création). J’en entends déjà… Non ! La mondialisation dans un jeu de dupe, n’est pas libérale, mais carcérale.
- Deuxièmement, parce que l’aristocratie technocratique culturelle française n’aime que les artistes morts ou bien les artistes subvertis par elle ; ce faisant, elle a torpillé l’intérêt des artistes français contemporains à l’échelle mondiale en ne présentant qu’une uniformité de ton, soutenu par des concepts abscons et verbeux alors qu’il aurait fallu révolutionner, c'est-à-dire, penser davantage (aujourd’hui, c’est une révolution que de penser) la modernité contemporaine par rapport à tous les médias et médiums existants et non exclusivement aux médiums de surface (photographie, installation, pseudo-sculpture), c'est-à-dire sans fond véritable. L’image ne remplacera jamais l’icône, c’est une tromperie de le croire et de l’accepter. De surcroît, que l’on ne vienne pas me dire que l’artiste français est moins valable qu’un autre, il est simplement plombé par l’absence d’intérêt que sa nation lui porte. Dans ce cadre, comment voulez-vous que d’autres croient en lui quand ici, on ne l’aime guère. La France a beau se targuer d’être un pays de culture (je le crois aussi), encore faut-il joindre l’acte à la parole et savoir précisément de quoi on parle. Exposer partout jusqu’à la nausée, Matisse, Picasso et tous les saints hommes de l’art pictural que la France à accueillis AVANT, n’est pas faire preuve de culture, mais de sens commercial et d’une démagogie à bon compte. La France a toujours raté ses artistes ou alors accuse un temps de retard notable, c’est un don qu’elle ne se refuse jamais, c’est un atavisme désormais ancré dans sa génétique patrimoniale. Si par le passé, ses artistes ou les artistes ayant choisi son territoire n’avaient pas fait preuve d’opiniâtreté au-delà de toute mesure, voire, s’ils n’avaient pas eu les couilles de lutter à mort contre l’adversité, la France serait le T… D. C.. D. M….
Est-ce que la puissance, le rayonnement artistique d’une nation est proportionnel à sa représentation dans les expositions internationales ? Si tel est le cas, alors la France doit se positionner au niveau de la Slovénie ou du Zimbabwe. Que les citoyens de ces dits pays n’y voient aucun mépris, ni ostracisme déplacés, simplement une réalité factuelle pour la France. Quand un Pays comme la France brandit l’étendard des Lumières et de l’Art en pensant qu’il illumine encore nos contrées et nos choix ; quand un pays comme la France pense que son statut de nation culturelle incontournable est intangible, peut-être faudrait-il que ce pays expose ses artistes avant l’âge de quatre vingt ans, voire avant leur mort, dans ses prestigieux musées pour que ses artistes soient reconnus dans leur jeunesse hors de nos frontières hexagonales, lorsque cela se produit, et apportent du sens, des perspectives à notre civilisation. [Je pense notamment, avec une certaine tristesse, à Aurélie Nemours qui eut sa première grande rétrospective en France au Centre Pompidou en 2004 (elle est née en 1910), alors qu’en 1995, l’Allemagne lui consacrait déjà une rétrospective d’une centaine d’œuvres au Wilhelm Hack Museum de Ludwigshafen. Contrairement à ce que l’on peut lire sur le site du Centre Pompidou, cette exposition n’est pas un hommage à l’artiste, mais un enterrement de première classe. La liste de ces artistes pourrait être longue et ce n’est pas l’objet de ce texte, un dernier exemple cependant : Marcel Duchamp (né le 31 janvier 1887), que l’on retrouve aujourd’hui sous formes d’épigones protéiformes dans les expositions contemporaines, ne fut exposé en France dans un musée national qu’en 1977 (à l’inauguration du Centre Pompidou, il est vrai, avec comme commissaires Pontus Hulten et Jean Clair).]
Ce n’est pas exagéré de vitupérer contre son pays, lorsque celui-ci n’assure en rien la représentation (publique ou privée) de ses créateurs contemporains, mais fait mine de le faire par un saupoudrage inefficace. Il existe, en effet, un ensemble de structures financées par l’argent public (FRAC, FNAC, CNAP, Palais de Tokyo et autre Fric-frac) censé promouvoir l’art contemporain, malheureusement cela ne compte pour rien. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de véritable politique de représentation de l’art contemporain et plus encore, un manque patent de curiosité intellectuelle de la part de ceux qui dirigent ces organismes d’état.
[Pour tout dire, dans ces centres publics, les expositions se suivent et se ressemblent, à tel point que sans nom, impossible de savoir qui expose. Quant aux achats des FRAC et du FNAC, il est impossible de connaître les critères de sélection des achats ; ces bidouillages obscurs se font entre gens… ] C’est cela, et bien autre chose : une volonté déguisée d’installer un nouvel art officiel et de n’en référer à personne.
Vous ne manquerez pas d’observer, que Sugawara ne prend pas à partie les organismes privés, il n’y en a simplement pas assez pour qu’ils influent sur quoi que ce soit ou alors foin des tergiversations d’élus, ils décident de partir là où l’herbe est plus verte, en tous les cas plus digeste.
Parfois dans la sphère des collectivités publiques, l’artiste peut rencontrer des personnes soucieuses de faire prospérer l’art et la culture, indistinctement du mainstream, elles sont toutefois peu nombreuses et sujettes à ostracisme.
Quant aux artistes français, sont-ils eux-mêmes exempts de tout soupçon dans ce manque réel de considération, je n’en suis pas sûr ! Sans faire référence à un passé peut-être idéalisé, nous pouvons croire que les artistes de l’entre deux guerres savaient utiliser leurs connaissances respectives en mutualisant de manière informelle tout ce qui pouvait contribuer à l’évolution de leur reconnaissance commune. Aujourd’hui, plus rien ou pas grand-chose, aucune capacité de proposer des événements communs, sinon pour sa gueule, en prenant bien soin de dénigrer toute initiative autre que personnelle… Ayant l’exemple des artistes américains et allemands contemporains, je peux dire sans naïveté, que leur mode de fonctionnement est plus avisé. Ils ont compris qu’une création commune de réseaux, loin de disperser les moyens financiers et les contacts médiatiques, permet de donner de la force et du poids à l’ensemble. Attention, je ne propose pas un revival du Kolkhoze façon libérale ; non, il faut seulement conquérir et rendre incontournable en groupe pour le bien personnel de chacun ; mais ils ne sont pas encore mûrs pour ça !
Alors que faire ? Partir ? Se compromettre ? Travailler sans le souci de personne ? Aimer son pays tout en pensant qu’il est proche de la momification ? A chacun d’y répondre. Sugawara pense que l’artiste finira par disparaître au profit des magiciens faiseurs d’images officielles.
Il y aura toutefois, toujours des places comme gardien de musée.
Gen Sugawara, 19 octobre 2011.