Tout a déjà été dit sur Dali. Depuis la Une de la couverture du Times (14 décembre 1936, pour sa première exposition new-yorkaise), nous le célèbrons et, son théatre-musée de Figueras est certainement le lieu artistique dédié à un seul artiste le plus visité en continu au monde. C'est la raison pour laquelle Sugawara pense que la fortune critique de l'artiste mérite un éclairage artistique différent.
Un artiste est de son espace, pour Dali, nous ne pouvons saisir l'oeuvre autrement.
Si Dali naquit dans la ville de Figueras (l'équivalent d'une sous-préfecture de province, où l'ennui se confond parfois avec la langueur des paysages et les allers et venues sur la place centrale), il faut savoir que dès que le temps le permet, sa famille rejoint à une vingtaine de kilomètres un petit bourg de bord de mer : Cadaques d'abord, puis Port LLigat, où elle possède une maison de pêcheur. Tout se joue ici, le rapport à la nature infini, aux changements d'état de la matière, à l'étrangeté des éléments. Le surréalisme est là, consubstantiel à son existence.
Il y a l'arrivée au Cap Creus, route sinueuse, biffée, baffée par la Tramontane, qui vous annonce que vous n'êtes pas en territoire conquis. La roche volcanique noire et coupante du temps passé parmi les embruns, reste ténébreuse quelles que soient les saisons. Ces roches ne sont pas de vulgaires concrétions minérales, elles sont protéïformes et changent d'aspects selon l'angle de vue et la lumière : c'est un monde d'êtres qui vit ici. A cet endroit, la mer plonge dans les profondeurs de la Méditerranée. Pendant une tempête, les vagues atteignent plus de six mètres de haut, vous n'êtes alors qu'une coquille de noix s'il vous prend l'envie de naviguer. Il y a peu de plage, seules des calanques existent , où le corps s'abandonne totalement sans avoir pied, sans assurance de retour, dans l'élément liquide, dans l'espace inconnu, prolifique du monde animal. Au crépuscule, la mer se teinte de milliers de reflets argentés, ce sont les poissons qui regagnent leurs abris dans les posidonies et les infractuosités des roches. En pleine eau, il y a toujours les prédateurs. Dali connait tout ça ! Il connait les odeurs du large où l'horizon n'a aucune limite ; il connait la finesse de la chair d'oursin et l'ulcération que provoque la piqûre d'une de ses épines. Voilà Dali ! Le "collage" pictural, transcendé du monde de Cap Creus.
Sugawara, un poulpe du Cap sur les pieds, 1 février 2013