Je comprends l'attrait de la lumière chez Renoir, et plus encore la raison pour laquelle, il choisissait les modèles féminins qu'il allait peindre nues en fonction de leur carnation, de la capacité de leur chair, de leur peau à réfléchir la lumière, ou bien d'être comme un marbre blanc grec de Paros (translucide au grain fin), la source d'origine de la lumière.
A ce titre, je comprends aussi la constante manifestation de la lumière dans l'art français à travers les siècles : le vitrail gothique qui supprime le poids du corps et l'aspire vers dieu ; le Rococo, dont la lumière des chairs ou les bougies des alcôves enflamment le désir ; l'impressionnisme qui voit dans la lumière l'éloge du quotidien. Les artistes se sont ainsi débattus, du spirituel, au profane, jusqu'au trivial, mais avec éclat.
C'est pourquoi aujourd'hui, j'ai choisi d'effeuiller L'odalisque de François Boucher, dans sa deuxième version datant de 1752, pour noter combien la lumière et le travail de la matière picturale sur la chair rendent la vue aussi palpable qu'un toucher véritable.
L'odalisque ou la jeune fille allongée de François Boucher, est le portrait de Marie-Louise O'Murphy, dont on taira la coquinerie intime avec Louis XV. Marie-Louise, rose et pâle comme un coquillage marin est alanguie nue dans une pièce ocre et ombre naturelle à la lumière tamisée, sur une banquette confortable vert de cinabre, et du linge de maison blanc d'argent et carmin clair.
L'œuvre est érotique. Qui dirait le contraire, pourrait déclamer à l'instar de Mallarmé dans Brise Marine, le poème daté de 1865 "La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres".
L'œuvre est érotique. Non parce que la jeune femme est simplement nue, les jambes écartées, les draps froissés laissant entendre que ce n'est pas un réveil matinal ; ou bien parce qu'elle est attentive à ce que lui montre ou lui promet son amant ; ou bien encore parce qu'une rose au parfum délicat qui lui fut apportée pour la séduire jonche le sol après avoir accompli son dessein. Pas davantage enfin parce que l'encens qui exhale toujours ses fragrances et enivre l'atmosphère par sa fumée, promet encore des moments sensuels. Mais parce que la texture, la lumière de sa peau laissent percevoir les vibrations du plaisir reçu. Tout concoure à le percevoir de la sorte : le modelé du corps évolue sans ombres véritablement contrastées, il permet à l'œil de parcourir les courbes sans heurt pour se promener tel un aventurier dans un pays inexploré, aux collines et aux vallons finement ciselés. Par endroits, proche d'un glissement de terrain abrupte, la couleur rose foncée (qui ne veut rien dire pour un artiste - lui préférer oxyde rouge, rose quinacridone, etc...) de la peau se dérobe, et le regard glisse sans maintien décent vers son pubis caché.
C'est encore trop simple. Ce n'est pas là la puissance de la peinture, la puissance de sa capacité d'incarnation. Si le corps de la jeune femme aguiche l'œil, c'est grâce à la stratification des couches picturales de couleurs différentes. Sous la peau rose et pâle… une couche grise s'est immiscée pour faire croire par transparence du glacis rose que la figure anatomique est vivante. Le gris qui apparait sous le rose fait croire au sang circulant sous l'épiderme.
A contrario, il nous faut regarder maintenant l'œuvre de Steve Hanks, un aquarelliste américain reconnu pour la qualité hyperréaliste de son travail. La scène est quasiment la même, l'époque a changé, mais l'épouse, l'amie, la maitresse, le modèle est sur un lit défait. Ici, la lumière est plus crue, plus franche, le rendu est hyperréaliste, et l'on approche d'une qualité photographique à partir de laquelle l'artiste doit travailler. L'aquarelle est poussée à son maximum technique et obtient des modelés d'une grande finesse. Cependant la lumière ne recèle pas de vie, elle est une transposition technique froide et j'oserai presque dire sans âme. Alors que dans l'Odalisque de Boucher, le désir est présent, là, la technique impose une distance, un cliché. Malgré le fait d'artiste, l'aquarelle au pinceau sur un papier de fort grammage, l'œuvre semble avoir perdue son aura, telle que la décrit Walter Benjamin (dans L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, 1936), car ce qui semble pouvoir être reproduit indéfiniment par un procédé technique, et être accessible facilement, révèle paradoxalement son absence.