Qu'est-ce qui crée la vie contre ce qui confine à l'anecdote ? C'est la question que tout artiste doit se poser, lorsqu'il ose poser le pinceau sur la toile. La résistance de la toile n'est pas un ressenti que chaque artiste a pu éprouver, c'est une réalité métaphysique qui dépasse l'entendement de celui qui crée, mais dont il sent la charge, l'énergie, et qui doit le rendre humble face à l'histoire, face à ses illustres pairs, parce qu'il sait avant tout qu'une œuvre, que l'Œuvre est un chemin long qui serpente entre la foi, l'opiniâtreté, le courage, les peurs. La pratique de l'art est un Golgotha, un cheminement dans le désert qui dépasse les quarante jours, et peut durer une vie. Lorsque les poils de la brosse déposent la couleur informe sur le grain de coton ou de lin, il faut être maître du temps pour ne pas succomber à la facilité de se défaire rapidement de l'œuvre, quitte à l'achever au sens strict plutôt que la terminer pour en commencer une nouvelle. Maître du temps, c'est accepter que la toile brute soit nourrie comme une terre pour récolter une bonne moisson, c'est savoir que certaines étapes seront besogneuses et médiocres avant d'atteindre une vérité. La vérité d'un langage pictural abouti. Qu'est une peinture sans un véritable et sincère langage pictural ? C'est une anecdote inepte.
Dans Seashell, Jeffrey T Larson qui est un peintre subtil et l'a démontré dans plusieurs séries, a manqué le chef-d'œuvre, pourtant sa technique est sûre et sa touche fine. Quant à l'emploi de la lumière et de la couleur, il n'a pas besoin de leçons, il connait le métier ; toutefois, il est à regretter qu'il enferme la lumière sur le ou du coquillage dans une scénette anecdotique qui détourne le regard vers un objet quelconque : un pot en céramique. Ce pot amoindri la scène, son reflet rectangulaire nous dévoile d'où provient la fenêtre de la source lumineuse, et dès lors ruine l'effet de surprise ou l'illumination spirituelle qui pourrait émaner du seul coquillage. De plus, l'ombre portée importante apparaissant ici par souci de réalisme est un contre point visuel créant une forme de moule, de nacre ouverte fantomatique. Tout ça est regrettable, car l'on aurait aimer se remémorer le coquillage tel l'être vivant d'un océan primaire d'où la vie apparue, sans compter les différentes symboliques dans les mythologies ou bien la Bible, et non la chose récoltée pendant une balade en bord de mer, entreposée de bric et de broc comme un vulgaire objet.
Enfin, comme une leçon de maître est toujours à trouver dans l'histoire de l'art, revoyons le Fifre de Manet. Ce qui déplu à l'époque dans l'œuvre de Manet datant de 1866, fait aujourd'hui sa modernité et sa monumentalité. Larson aurait dû s'en inspirer. Manet peignit le fifre très contrasté, des seules couleurs du visage, du costume et de l'instrument : rose, blanc, rouge, noir et or. Vivant et vif par l'attitude et le regard qui entendent nous surprendre par une note émise de l'instrument, le Fifre est entouré d'air, libre sans repaire spatial véritable sinon une ébauche d'ombre portée à son pied gauche. C'est la liberté de la figure, non assujettie à une scène anecdotique qui l'impose comme vision iconique, au sens strict de l'icone orthodoxe : matérialisée, transsubstantialisée.
03102024