Plutôt que trainer dans un musée où la cohorte du monde afflue, cette année j'ai consacré un temps pour rendre hommage à des hommes ordinaires qui se sont engagés pour mettre fin au nazisme. En Normandie, j'ai péleriné sur les plages, et dans les lieux emblématiques de la bataille commencée le 6 juin 1944. La mémoire est intacte, et la puissance historique, spirituelle, d'Omaha, de Utah, de Gold, De Juno, de Sword, rappelle combien il faut de courage pour inverser l'ordre des choses et résister.
Lorsque dans le cimetière américain de Colleville, nous regardons en contrebas le sable, la marée, la végétation de la plage d'omaha, nous avons peine à imaginer qu'à ce jour fatidique, le rouge sang, les explosions, les cris ont dominés. L'atmosphère est aujourd'hui paisible et cependant toujours chargée de la vie et de la mort de ces jours sanglants. C'est un lieu saint, comme les autres plages du débarquement de Normandie, comme aussi maints lieux de bataille où les humains se sont affrontés pour des idéaux et des causes justes.
Quand l'art sera-t-il aussi puissant, impliqué, désintéressé ? Quand aura-t-il la force d'inverser les choses, de défaire l'inacceptable, de transformer l'histoire qui s'écrit parfois avec pusillanimité ? Je crains qu'il ne l'aura jamais, et moins aujourd'hui qu'hier. Qui ose peindre un Tres de Mayo, un Serment des Horaces, même un Guernica, si galvaudé par la com ? Je ne vois que de la décoration, des images édulcorées, souvent trop nourries au sociétal et non à l'Histoire. Il faut dire qu'un artiste qui peint l'Histoire en cours à peu de chance d'exposer dans un centre d'art, un musée et même en galerie. Ne point choquer ou faire peur, voilà la règle.
L'art est, maintenant, inoffensif, car il ne porte aucun projet, aucun dessein civilisationnel. Il est creux et individualiste. Je rassure le lecteur… Il n'y a aucune envie de ma part de vivre dans un phalanstère artistique avec des boulimiques d'idéaux pacifistes, naïfs, internationalistes. Pas davantage qu'une envie de noyer ma pensée, mon action artistique dans un kolkhose embourgeoisé nouvelle ère. Il y a simplement le désir de faire sens et de faire "beau", c'est à dire bon, moral, puissant, couillu, respectueux mais incongru, subversif mais juste, déterminé mais ouvert, violent mais avec doigté pour susciter du plaisir et faire frissonner notre esprit. En résumé, débarquer sur la plage de votre tranquillité, pour réveiller votre humeur et votre esprit de résistance. C'est ça l'art !