Les habitués de Art No comment verront ce soir un changement notable : le changement de l’administrateur du blog. Sugawara Gen n’est plus, il est mort hier soir d’une crise cardiaque à l’âge de 92 ans. Originaire de la ville de Fujisawa dans la banlieue Sud de Tokyo, ce passionné d’art et féru de culture française vécut des années en France. C’est là que je l’ai rencontré, déjà d’un grand âge mais n’ayant rien perdu du piquant de la jeunesse, Sugawara aimait l’art comme peu l’aiment et le vivent. Non comme une mondanité, mais comme une spiritualité, un absolu. Avant de mourir, il m’a demandé de reprendre le blog et de le continuer avec la même verve. Il peut compter sur moi de là-haut.
Avant de démarrer une nouvelle page de ce blog, je dois vous dire qu’étant artiste peintre, je suis Christophe Avella Bagur, je ne ferai aucune concession. Ce que j’aurai à dire, je le dirai. Sugawara aimait profondément mon œuvre, il y trouvait un ferment contemporain, et une vérité de l’être-artiste…
Que les esprits soient généreux et compatissants avec toi, mon cher Gen.
L’art Kleenex et le changement de paradigme.
Les galeries Yvon Lambert ont fermé ? Eh bien, où est le cataclysme annoncé ? La Fiac a lieu et je ne doute pas des ventes qui s’y feront. Paris est déjà moribond depuis plusieurs décades, cette micro-tempête dans un verre à cocktail ne déclenchera rien de plus que sa fermeture. A cause de cela, des galeries parisiennes fermeront parce que les grands collectionneurs ne passeront plus par la France ? Mais dans leur immense majorité les galeries parisiennes sont hautaines, méprisent les artistes et ne servent pas la culture qui se fait ici. C'est un banalcommerce. Tout le monde connait dans le milieu de l’art, une galerie proche de Beaubourg qui ne brillait qu’en étant la succursale française des galeries new-yorkaises, telles que Léo Castelli, Mary Boone ou autres. D’après son directeur, il n’y avait pas de grands artistes français à l’exception de quelques-uns. Que n’ai-je vu cet individu dans mes expositions depuis vingt ans, même pour pisser sur mes œuvres ? Aurait-il un jour déplacé sa suffisance dans un atelier pour s’apercevoir que la création est vive ici, mais qu’elle nécessite un soutien à la hauteur de Kahnweiler ?
Je n’irai pas pleurer sur leurs tombes. Je me délecterai de leur disparition et de leurs guerres picrocholines qui ont fait de l’art des artistes français un gueux dont on se passe dans le monde entier. Lorsque souvent, je consulte le sommaire des livres sur l’art contemporain écrit par des journalistes ou critiques, je retrouve généralement les mêmes artistes français, je devrais dire les Cabanel du XXIème siècle, ici douze noms, là quinze, mais pas plus. Affligeant de constater combien l’endogamie, ce vice à la mode est devenu une vertu.
En France, il y a toujours eu la Province et Paris, aujourd’hui Paris se meurt de ses mœurs de province. Paris est provincial dans notre monde actuel, ce n’est plus la capitale monde, le pôle attractif de la première moitié du vingtième siècle. Tant et si bien que les galeries parisiennes fuient à Bruxelles pour exister financièrement, quel gâchis, quel spectacle granguignolesque autant que pathétique ! Mais d’avis avertis belges, ces galeries ne brillent que dans un seul quartier : Uccle, et n’ont de résonnance que le son étouffé de leurs pets après les cocktails qu’ils partagent avec quelques mauvais payeurs de l’impôt sur la fortune... Ici, il n’y a pas le ferment d’un esprit d’ensemble, unitaire permettant d’égaler les autres capitales occidentales pour imposer l’art des siens. Les USA, l’Allemagne, etc., tout pays digne, consacre d’abord ses artistes, car de la faculté de créer, de la liberté d’innover et de le faire savoir ostensiblement découle la richesse, le pouvoir, l’aura, la vivacité d’une nation (au banc des accusés se trouvent aussi les institutions artistiques françaises, pleutres parmi les pleutres, préférant bien souvent acheter ailleurs ce qui se trouve dans nos ateliers, ceci quand elles ont la capacité financière d’acheter, bien souvent elles font appel à des mécènes étrangers et font baisser considérablement les prix). Ici, c’est un syndrome national, nous préférons tout acheter, plutôt qu’acheter français par honte de paraître nationaliste. Attention, ne confondons pas nationaliste et patriote. Le patriote honore son pays et le rend plus fort, il le brandit comme un étendard, non pour combattre l’étranger, mais pour confronter son humanité à l’altérité qui l’entoure. Evidemment, chaque entreprise privée a le droit de présenter, d’acheter, ce qu’il lui convient, ce qu’elle trouve de qualité, mais ce droit ne doit pas s’appliquer à l’espace public ou bien dans un faible pourcentage. L’espace public doit opter pour la préférence nationale. Alors, ne pleurons pas sur notre défaite lorsque les autres se détournent de nous parce que nous n’avons pas su construire et fédérer nous-mêmes notre altérité, notre différence qui siérait aux autres. La France a su le faire pour son cinéma, pas pour ses arts plastiques.
Les Chinois, eux, ont su, en achetant massivement les leurs et aussi en ouvrant dans chaque capitale occidentale des galeries exclusivement dévolues à l’art contemporain chinois. C’est pourquoi depuis 1994, les collectionneurs mondiaux s’arrachent les artistes chinois et que la côte de leurs œuvres grimpe (mon meilleur soutien le fait), pourtant, ces artistes sont souvent les clones d’un art post-communiste sec, biberonnés au grand bond en avant capitaliste : Avida Dollars a fait des émules, le génie en moins ! Les Chinois donc, tout comme les artistes anglais, dont on nous rebat les oreilles, profitent de cette stratégie d’attaque incursive patriotique. Je ne me rappelle pas avoir eu un climax devant une de leurs œuvres, mais il faut se résoudre à l’efficacité de leur puissance marketing. La sempiternelle excentricité anglaise n’a pour autant pas souvent plus de profondeur que la surface de l’œuvre. Prenez les frères jumeaux sculpteurs, peu importe leur nom, se veulent incongrus, subversifs en achetant des aquarelles d’Hilter pour intervenir dessus ; travail de fainéant tout au plus qui ne veulent pas réfléchir et laissent à l’Histoire le soin de donner du sens à l’œuvre. De la même façon lorsqu’ils habillent leurs personnages d’uniformes nazis sur lequel dans une œuvre, un pigeon défèque… cela ne m’a pas troué le cul, si je puis dire. Je vomis bien davantage quand je regarde des documents d’époque, et les dernières décapitations en panavision mondiale de regrettés journalistes démocrates, car leurs œuvres manquent cruellement de réflexif et de création, elles ne portent en elles qu’un commentaire galvaudé et usé : les nazis, c’est pas bien ! Depuis la seconde guerre mondiale nous en sommes tous persuadés. Peut-être que d’autres problématiques ont surgi depuis et que l’historiographie fait son devoir ? Ne confondons pas l’étude du fascisme ; l’étude du dérèglement des sens, de la perte de la raison et de la faculté de bien juger…de l’homme ordinaire dans un régime totalitaire, utilisant la terreur et la propagande comme moyens de domination du peuple avec l’illustration simplette et kitchissime du mal. Lorsque j’ai vu leur exposition, je ne me suis pas projeté fébrilement à Nuremberg ou à Berlin dans les années 30, mais dans un cabaret sadomaso assommé par une musique coldwave où vibraient les accords polyphoniques des premiers synthétiseurs. Raté !
Je me souviens de l’inauguration de la galerie #Lambert à Londres en 2008, dans le quartier de #Shoreditch, dans une vieille et gigantesque demeure Victorienne, donnant sur une place non loin de White Cube Gallery. La galerie bondée mêlait différents publics : amateurs, artistes, people, pintades féminines et masculines (cela se décline. Le plus bel exemple fut ce bellâtre avec sa pouliche de circonstance arrivé en Bentley avec chauffeur à la fin du vernissage, lorsque les gardiens du service de sécurité fermèrent les portes de la galerie. On l’eu cru suffoquant d’avoir raté cet événement mondain. Décontenancé d’avoir à faire subir à sa moitié apprêtée pour l’occasion de la plus belle tenue griffée, l’affront d’une fermeture de séance frustrante. Il levait les bras en l’air en joignant ses mains et tournait nerveusement sur lui-même. Pour sûr, il avait raté son coup et celui de la nuit qui commençait aussi) et quelques grands noms ayant droit au champagne. Par chance, au premier ou deuxième étage des fauteuils confortables permirent de s’isoler de la rumeur artistiquo-messianique du lieu. Les œuvres quant à elles, se répartissaient dans tout l’espace. Il y en avait beaucoup, notamment une présentant la reconstitution d’une ville sur une surface d’environ vingt mètres carré, sous forme de maquette, de couleur noir cendré. Hormis, la multitude des bâtiments et leur architecture propre, rien n’était particulièrement décelable sur cette surface illustrant l’espace urbain. Bien sûr, la possibilité de gloser sur le vide proposé était infini, mais ce que j’en ai pensé est qu’il manquait la dose minimale d’humanité pour faire vaciller le spectateur et conférer à l’œuvre cette grandeur, cette monumentalité que l’on attend de toute vraie œuvre, qui transcende l’anecdote et/ou l’illustration. Je me trouvais simplement devant une maquette de ville, forcément bien faite, réalisée par une flopée d’assistants aux ordres pour un salaire. L’œuvre n’était pas froide par le sujet ou son esthétique propre, elle était froide car morte née. Un avortement créatif en direct. Faut-il qu’il y ait des êtres froids comme de la pierre pour s’adonner à un tel délice esthétique mortuaire, a fortiori pour l’acheter cher. Il ne faut pas confondre la froideur mis en exergue par l’esthétique de l’œuvre et la froideur de l’œuvre par manque de pertinence de l’accomplissement du sujet.
La plupart des œuvres vues lors de cette inauguration me semblèrent de même acabit : froides par posture plus que par nécessité, bien réalisées, achevées par les rejetons tardifs d’une civilisation à court de souffle. Aucun véritable élan, aucune véritable perspective, aucune véritable érection esthétique, aucune véritable action humaine. Uniquement l’odeur aseptisée propre à une mécanique de montre Made In Switzerland, signe ostentatoire de réussite futile, rien qui vaille la peine d’une prosternation bigote, d’une adulation artistique.
Il en va comme cela aujourd’hui, nous avons changé de paradigme, l’art, cette chose qui a nourrit l’esprit est dorénavant un foutre coloré ou volumique inutile, car il est dévoyé jusqu’en son trognon. Peu savent encore le lire, mais tous le côtoient. Peu se soucient de qui le fait et dans quelles conditions il le fait, sauf quand celui-ci sera auréolé de gloire.
L’artiste peut bien crever car de toute façon bientôt il ne sera que la variable d’ajustement du marché, le turn-over des expositions mondiales le démontre quotidiennement. L’alibi de notre propension pour l’art est désormais notre oisiveté morale et intellectuelle. Il faudra tôt ou tard un nouvel art pour nous sauver du néant dans lequel nous plongeons, il faudra un art cru qui se gosse du spectacle, mais je crains qu’il faille l’attendre comme le messie, en vain.
#Christophe Avellla Bagur