Il est des découvertes picturales qui vous stupéfient par leur audace voire leur effronterie. L'oeuvre : "Nature morte, service à thé" de 1910, par Albert Samuel Anker a cette qualité. De prime abord, nous pouvons nous étonner de mon enthousiasme. Après tout, il ne s'agit que d'une nature morte conventionnelle, dans laquelle l'artiste en bon artisan sait utiliser les pinceaux en restituant la gamme complète des matières des objets choisis ; une lumière blanche de tonalité chaude subtile et une composition fonctionnant sur une fausse symétrie dynamique. Une deuxième analyse nous focalise sur une incongruité : le petit pot de lait rose bonbon, délicat, véritable punctum ou ponctuation chromatique qui intensifie toute la scène et, transforme une bonne nature morte en oeuvre picturale.
Enlevez ce petit objet, plus rien n'a d'intérêt. Regardez le à nouveau, tout se met à pétiller. Les pains au lait sont chauds et moelleux, les tasses attendent vos lèvres, l'eau frisonne dans la bouilloire. Madame va bientôt descendre de sa chambre en peignoir, ou en tenue légère, tandis que vous, journal du jour déplié, vous lisez les dernières brèves du monde.
Nous sommes au dix neuvième siècle finissant, dans une demeure bourgeoise feutrée. Fort loin des vicissitudes et du dur labeur des ouvriers.
Je serai plus sévère à l'aune de la date à laquelle elle fut créée, en sachant qu'à la même époque, Picasso travaillait déjà aux "Demoiselles d'Avignon"...