Pour un artiste, que je suis peut-être, découvrir l'existence ainsi que les moments de création d'un artiste référence à travers une fiction cinématographique est jubilatoire. Généralement, les films consacrés à des artistes s'attachent davantage à la vie qu'à l'Oeuvre. Peu d’œuvres sont visibles, quant aux plans situés dans l'atelier où l'artiste travaille pinceau en main, ils sont quasiment inexistant. Le récit nous promène en périphérie vers ses tourments existentiels, sensuels, historiques. Ce n'est pas inintéressant, mais peu en accord avec l'attente de la découverte d'un secret d'atelier, d'un plan mettant en exergue la situation de création d'une oeuvre que nous vénérons, d'une sensation que seuls les artistes partagent et connaissent. Bien sûr l'idée même d'une découverte, fut-elle infime est vaine, faussée par la fiction et le travail certainement interprétatif du réalisateur, mais je le répète, cette incarnation d'un mort devenu pour vous au fil des ans un être cher est jubilatoire et prophétique. Vous voyez là comment il vous a ouvert la voie (je ne m'excuse pas de cette appropriation exclusive egocentrique).
Le film auquel je me réfère est :"Les ténèbres contre la lumière" de Yannis Smaragdis, 2007, relatant la vie du Greco. Nombreux sont les plans d'atelier où El Greco peint, pense, écrit. Nous le trouvons respectivement en Crête encore peintre d'icône ; à Venise dans l'atelier du Titien (dont un conseil au cours de leurs discussions vaut encore aujourd'hui : "Les gens te demandent la vérité, mais si tu leur donnes, ils ne te pardonneront jamais") ; et évidemment en Espagne à Tolède où il passera les 37 dernières années de sa vie. Le film ne relate pas le séjour à Rome, où il dira de Michel-Ange qu'il ne savait pas peindre et à Madrid où il rata son installation à la cour de Philippe II à cause de l'oeuvre "Le Martyre de saint Maurice" (1579), le monarque et l'église ayant rejetés son traitement du sujet (le saint en arrière plan et des personnages masculins nus, sujets à interprétation douteuse au premier). Voir et revoir El Espolio, l'Enterrement du Comte D'orgaz comme si vous étiez convié dans l'atelier à boire un Arrayàn avec quelques convives est des plus plaisants, j'irai même jusqu'à dire : jouissif.
Le film vous rappelle aussi que chaque artiste rencontre les mêmes difficultés, non, je n'évoque pas là, les difficultés inhérentes à la création : solitude, travail jusqu'aux limites psychologiques et physiques, etc. mais disons les difficultés d'ordre sociales, politiques. En son temps, il y avait l'inquisition, avec qui il n'eut semble t-il pas maille à partir, excepté le rejet du Martyr de Saint Maurice ; toutefois, nous pouvons imaginer qu'il devait composer pour rester dans la légalité religieuse. Est-ce pour cela qu'il fit le portrait du Cardinal Don Fernando Niño De Guevara (inquisiteur général d'Espagne de 1599 à 1602) ? Allez savoir !
De nos jours, plus d'inquisition, un artiste ne risque pas d'y être jugé devant son tribunal, a fortiori de brûler sur un bûcher. Il y a d'autres inquisitions cependant, celles qui vous méjugent avant d'avoir comparu, car elles s'entendent entre elles pour garder les places ou les distribuer avec parcimonie à ceux qui leur offrent les meilleurs avantages. J'en ai connu des critiques, curators ou artistes comme cela. D'ailleurs plutôt que les nommer critique, curator, artiste, etc. appelons-les : la-pègre-artistique. Tel directeur de musée renvoyant toujours vos dossiers avec cette sentence stupide :"Ne rentre pas dans nos choix d'exposition" ou plus fin en filigrane : "N'a pas assez s..é pour être accepté", mais il suffirait que nous soyons membre d'un journal d'art (...) ayant place dans les cercles intimes pour qu'une place d'exposition se libère et que le gratin y adhère ; tel universitaire, femme de, choisit comme artistes exemplaires dans son ouvrage d'art, des personnes que son mari soutien et dont un a fait leur portrait ; tel artiste langue-de-pute, petite vipère humaine distillant son venin, profitant mais ne renvoyant jamais la pareille (aujourd'hui presque disparu, paix à son âme) ; telle assistante d'un directeur de Fric-Frac : "Nous n'exposons ici que les peintures mouvantes, mobiles" (j'aurais du l'enregistrer), tels membres des comités de sélection (galeristes eux-mêmes) de foire d'art éjectant toujours votre galerie car elle leur ferait de l'ombre, etc. Je m'égare dans ce carnaval-des-eunuques, je souhaitais humblement vous faire partager l'émoi d'avoir regardé le film récent sur El Greco.
Sugawara
Dans la pénombre de la tempête printanière
17 06 2014